Quelques réponses aux  nombreuses critiques ou remarques que j'ai reçues à propos de cet essai sur Jésus 

(les noms de personnes m'ayant contacté par email ne sont pas divulgués)

 

Réponses à Archeboc     http://archeboc.free.fr/mytheJesus/index.html

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Introduction

Je vous remercie de l'intérêt que vous portez à mon site. En parcourant le vôtre j’ai compris que vous ne preniez pas la thèse mythique très au sérieux. Permettez-moi en guise d’introduction de rappeler ma position à ce sujet.

Lorsque j’ai lu les Evangiles pour la première fois j’ai vraiment été frappé par le caractère irréel et incohérent du récit qui est pourtant présenté comme un ensemble de témoignages sur la vie et les paroles du Christ. J’ai donc décidé de faire une seconde lecture plus critique cette fois en prenant soin de noter et d’annoter chaque passage qui posait problème et en continuant ainsi pour l’ensemble des textes du Nouveau Testament. Sans aller plus loin j’ai fait une première synthèse des éléments troublants.

n       Les quatre évangiles représentent  une collection de récits où se mêlent le merveilleux et le surnaturel, le religieux et l’historique. Les références permanentes à « l’accomplissement des écritures » montrent clairement que la trame de l’histoire fut en grande partie inventée pour servir un dessein théologique pré-établi.

n       Une lecture rationaliste qui voudrait simplement gommer les éléments surnaturels pour mieux replacer les évènements dans un contexte purement historique est illusoire.

n       Une lecture mythique permet de rétablir une cohérence globale et d'insuffler une certaine logique à l’ensemble des textes.

n       L’absence de référence à Jésus de Nazareth et à son ministère dans l’ensemble des Epîtres est tout simplement inconcevable. Seule l’hypothèse du mythe peut expliquer logiquement et simplement un tel silence. Que Paul puisse entreprendre d’évangéliser des populations importantes de « gentils » sans leur parler une seule fois de Jésus et des nombreux miracles accomplis par ce dernier, sans jamais le citer explicitement comme preuve vivante de l’accomplissement des écritures est inimaginable. C’est sans doute là que réside le cœur de l’énigme.

Pour compléter mon enquête historique j’ai bien sûr revisité les preuves extra testamentaires si souvent citées comme démontrant indépendamment des Evangiles l’historicité de Jésus. Et là de nouveau ce fût la surprise.

Seules deux références chez Tacite et Flavius Josèphe méritent vraiment une attention particulière mais toutes deux sont tardives et la seconde de surcroît très douteuse. Si l’on ajoute à tout cela les silences d’autres auteurs de la même période (bien que j’admette que ces silences ne constituent pas individuellement un élément de preuve) il faut bien avouer que tenir pour acquise l’existence historique de Jésus est une conclusion plutôt péremptoire et hasardeuse.

Enfin il faut bien rappeler que l’explication mythique loin d’être absente de la Bible en constitue plutôt la trame générale. Les progrès de la science et plus spécifiquement de l’archéologie ont montré depuis quelques temps déjà que la plupart des personnages emblématiques du livre des livres étaient des mythes. Adam et Eve, Noé, Abraham, Moïse, Josué n’ont tout simplement jamais existé alors que pour les deux  derniers par exemple, leur ancrage dans l’histoire en faisait des personnages qui n’avait à priori rien de mythique.C’était oublier la formidable capacité d’invention à des fins théologiques dont ont fait preuve les rédacteurs successifs des textes bibliques. On peut raisonnablement dire aujourd’hui qu’une partie non négligeable de l’Ancien Testament (Le Pentateuque, Les juges et une partie des Rois) est d’origine mythique. Pourquoi donc dans un sens cette tradition aurait elle pris fin avec le Nouveau testament ? En quoi l’invention de Jésus serait elle plus invraisemblable et illogique que celle de Moïse ?

Voici donc résumés brièvement les raisons qui m’ont poussées à défendre la thèse mythique. Non pas dans le but d’apporter une « prétendue preuve » de la non historicité de Jésus mais plutôt pour fournir au non croyant une alternative à l’explication rationaliste habituelle qui est entrée dans les livres d’histoire. Disons pour conclure que la probabilité du mythe doit être quelque peu réévaluée à la lumière des éléments discutés ci dessus.

Je respecte bien sur la position chrétienne traditionnelle qui refusant d’ôter la partie surnaturelle du récit propose une grille de lecture presque cohérente ( à condition de posséder la foi). Pour l’agnostique ou l’athée la thèse du mythe permet de supprimer simplement la plupart des incohérences du texte sans faire appel à trop d’hypothèses supplémentaires comme c’est malheureusement  le cas avec les thèses rationalistes classiques. A vouloir à tout pris chercher un personnage réel sous l'échafaudage surnaturel des évangiles a conduit trop souvent un grand nombre d’auteurs  à multiplier les hypothèses additionnelles qui ajoutent à la confusion (je préfère pour ma part m'en tenir au principe du rasoird'Okham).

 

 

1) A propos de la nature de Jésus

Dans le Paradigme Chrétien je pose en effet le postulat de la nature divine de Jésus car il me semble que c'est le point de vue essentiel et officiel de la doctrine chrétienne. Les premiers représentants de l'Eglise ont beaucoup débattu de ce problème qui fut à l'origine de nombreuses interprétations ou hétérodoxies (Par exemple la dispute monarchienne). Jésus était-il d'abord un homme avant de devenir un dieu,était-il une divinité distincte de Dieu  ou encore était-il de même nature que lui ?

L’Eglise a statué sur ces questions au Concile de Nicée en 325 après J.C. Jésus est l'incarnation du Verbe, de même nature que le Père et son entrée dans l'Histoire doit donc être considérée comme une intervention de Dieu dans le cours des événements humains. Mais ceci n'est pas nouveau puisque c'est la suite logique de l'Ancien Testament qui mêle religion et histoire dans un seul récit cohérent et auto explicatif.

Pour les Chrétiens Jésus représente  Dieu qui intervient de nouveau dans l'Histoire des Hommes et c'est dans cet esprit en tous cas que la majorité d'entre eux lit le Nouveau testament.

L'intervention de Dieu dans l'Histoire est bien sûr au cœur des trois grandes religions révélées. Les difficultés sont grandes pour chacune d'elles de parvenir à concilier les points de vue religieux et historiques. Surtout lorsque l'on se doit d'appliquer en Histoire la méthode scientifique d'analyse des faits et donc de pratiquer le doute et la remise en question permanente des hypothèses.Comment concilier cette démarche avec la préservation de l'essentiel d'un dogme ?

Ainsi donc le chrétien qui veut défendre à la fois l’historicité de Jésus et son caractère divin ne peut échapper à cette difficulté et doit  en permanence naviguer entre rationnel et irrationnel, entre science et dogme s’il ne veut pas renoncer à sa foi.

 

2) A propos de Jean le Baptiste

Pour expliquer l'attitude énigmatique de Jean le Baptiste qui ayant reconnu Jésus ne le suit pas et ne devient pas un de ses disciples il faudrait donc se résoudre à voir dans le récit du baptême une "construction théologique postérieure" c'est à dire en langage de tous les jours une invention.Nous voici donc au cœur du problème de l'historicité. Comment démêler la partie authentique du récit de la partie inventée ?  Si l'on veut préserver la cohérence du texte il va falloir comme ci-dessus faire appel aux constructions théologiques postérieures un très grand nombre de fois et retirer ainsi toute forme de crédibilité à la lecture chrétienne des évangiles.

L'explication est cependant pertinente : Examinons celle-ci en détail.

-- Jean le Baptiste a existé

-- Jean le Baptiste a rencontré Jésus

-- Jean le Baptiste n'a pas baptisé Jésus et ne l'a pas suivi

-- Le récit du baptême de Jésus est une invention postérieure à des fins théologiques

 

Dans le paradigme chrétien, cette explication qui va décevoir bon nombre de croyants pose plus de problèmes qu'elle n'en résout. Privé du baptême de Jésus , le récit original de la  rencontre hypothétique entre Jésus et Jean perd en effet tout son intérêt et n'a plus aucun sens. Que représente alors cette rencontre ? Et le rajout postérieur du passage que nous connaissons nous ramène au problème initial.

Pourquoi un théologien aurait-il entrepris de modifier le texte pour le rendre incohérent et énigmatique ?

Dans le paradigme rationaliste en revanche l'explication devient plus plausible : Jean et Jésus se sont rencontrés, il se pourrait même que Jean ait baptisé Jésus et seule l'interprétation de ce baptême pourrait avoir été rajoutée postérieurement. Mais comment un événement initial aussi banal et sans signification particulière aurait-il pu être transmis et préservé jusqu'à la période  de la rédaction des évangiles soit au mieux 30 ou 40 ans plus tard?

Dans le paradigme mythique enfin c'est le récit complet de la rencontre qui est ajouté à une époque où seul le souvenir de Jean le Baptiste opérant dans les eaux du Jourdain a été préservé. Le texte final reste globalement  cohérent et conforme au souvenir que l'on pouvait avoir de Jean. Il faut souligner que ce dernier point milite en faveur de l'existence de Jean.Le problème de l'historicité de Jésus n'est pas du tout de même nature que celle de Jean pour plusieurs raisons.La plus importante me semble être que Jean est dépeint avant tout comme un homme ordinaire : Il n'accomplit aucun prodige et ne possède aucun trait particulier des personnages légendaires et mythiques à l'opposé donc de Jésus qui baigne lui en permanence dans le surnaturel.

 L'exigence en matières de preuves est donc sans commune mesure. Pour illustrer ce point disons par exemple que si un ami vous téléphone pour vous dire qu'il a aperçu un âne dans le pré à côté de chez lui vous le croirez sans trop de difficulté  mais si cet ami vous confie qu'il a aperçu une licorne dans son pré alors vous déciderez sans doute de  venir vérifier par vous-même ses allégations et vous ne vous contenterez pas de son témoignage..

 

Conclusion :

Je voudrais essayer de condenser brièvement les points majeurs de la thèse mythique qui méritent d'être débattus:

-- L'absence de référence à Jésus de Nazareth et à son ministère dans les premiers textes chrétiens qui sont datés de manière fiable : Les Epîtres Pauliniennes et les documents des Pères Apostoliques de la fin du 1er siècle.

-- La quasi-absence de références chez les historiens de la période en question compte tenu de la popularité prétendue de Jésus.

-- Le caractère surnaturel permanent du texte des évangiles (abondance de miracles et de guérisons incroyables de phénomènes prodigieux, d’évènements improbables…) et la référence incessante à "l'accomplissement des écritures" signent sans ambiguïté l'invention permanente de plusieurs auteurs successifs et pose de ce fait la question de la pertinence du témoignage se rapportant à un  prétendu personnage historique.

Compte tenu de ces arguments je dirais simplement que tenir l’existence de Jésus pour probable est une opinion que je respecte et qui me semble scientifiquement plausible. Tenir celle-ci pour certaine et traiter avec dérision l’alternative mythique me semble être une attitude plus proche du dogme que de la science.

 

 

Patrick Dupuis

 

 


Bonjour,

J'ai lu avec intérêt et plaisir  votre analyse des différents témoignages de l'existence de Jésus.
En effet, l'hypothèse de son existence exclusivement mythique ne peut être rejetée.
Cependant, j'avoue pour ma part privilégier encore l'option rationaliste. Car finalement, si Jésus devait être un personnage mythique, pourquoi serait-il le seul qui laisse planer un tel doute quant à son existence réelle? A l'inverse, pour quel autre héros mythique subsiste-t-il ce genre d'incertitude? Se demande-t-on si les mythes d'Osiris, Heraclès, ou Mythra puisent leur origine dans une vie humaine?

Une deuxième remarque que je me permets - pardonnez-moi - est une remarque de forme. Votre texte est criblé de fautes d'orthographe; ce détail m'a laissé perplexe tout au long de votre ouvrage: une enquête telle que la vôtre laisse supposer une certaine érudition. Bien que cela n'ôte rien à la validité des thèses que vous défendez, on ne peut s'empêcher de se demander si toutes ces erreurs de forme n'impliquent pas un manque de rigueur également sur le fond...

Enfin, une des contradictions que vous mettez en évidence dans http://enigmej.free.fr/evangiles%20canoniques%202.htm m'a fait "sauter" sur ma Bible pour vérification:
" Si je me rends témoignage à moi-même, mon témoignage n'est pas valable (Jean 5-31).
     Bien que je me rende témoignage à moi même ,mon témoignage est valable (Jean 8-13)."
Dans ma Bible, la deuxième citation est placée dans la bouche des Pharisiens, ce qui n'est pas du tout pareil: "Les Pharisiens lui dirent: " Vous rendez  témoignage de vous-même;.."(Jean 8-13)
Or Jésus reprend ces mots dans le verset suivant mais pour se justifier; il rétorque d'ailleurs: "le Père qui m'a envoyé rend aussi témoignage de moi-même" (5-18)
Son argument est certes discutable, mais en aucune manière il n'y a contradiction. Jésus semble en fait admettre dans les deux cas la Loi Juive qui stipule que le témoignage de deux hommes est digne de foi.

Je vous adresse mes remerciements pour votre travail qui contribue à garder ouverte l'enquête sur une énigme qui n'a pas fini de faire couler de l'encre et  circuler les octets.

Meilleurs voeux!

Ph. F.

Réponse :

Merci pour vos remarques.

Vous dites que Jésus est le seul personnage qui laisse planer un doute sur son existence réelle. En fait de doute il est communément admis de nos jours que son existence historique est un fait bien établi (j'en prends pour témoin les livres d'histoire de Collège qui en parlent comme d'un personnage ayant réellement existé). Le fait que Jésus bénéficie d'un statut à part parmi les autres divinités est sans nul doute le résultat de plusieurs siècles de christianisation de l'occident sous l'égide des pères de l'église puis des moines qui ont peu à peu consolidé le mythe et surtout semble t-il fait disparaitre ou discrédité toutes les interprétations différentes...Bien sûr ce n'est qu'une hypothèse...

Pour ce qui est de la contradiction dans l'évangile de Jean Le passage 8-13 que je cite est bien prononcé par Jésus en réponse à la remarque des pharisiens dans ma Bible de Jérusalem (Edition de 1998). Mais il est possible que certaines traductions alternatives puissent faire disparaitre ici ou là une contradiction qui n'est somme toute pas fondamentale. Mon propos était bien sur de montrer que les évangiles sont truffés de contradictions mineures mais aussi majeures qui conduisent parfois à des contresens logiques ou situationnels.

 

Pour ce qui est des fautes d'orthographe je dois avouer que j'ai fait un peu trop confiance au correcteur orthographique de Word et pas assez à une relecture mot à mot du document.J'espère reposter une version corrigée prochainement.

 

P. Dupuis

 

 


Bonjour Patrick,

 

Je viens de parcourir longuement votre site (sur lequel je suis arrivé en

venant du site www.charlatans.fr.st où il figure en bonne place) dédié à la

présentation de votre recherche et réflexions sur Jésus, dieu, homme ou

mythe. Bravo tout d'abord pour votre tavail, et merci d'avoir permis - en le

publiant sur le web - à tout internaute de lire le résultat de vos

recherches. J'ai particulièrement apprécié le soin que vous avez pris de

citer les sources de tout ce travail, c'est vraiment précieux si on veut

aller plus loin.

 

J'aimerais également vous livrer les quelques remarques et éléments de

réflexion personnelles que m'ont inspiré votre site. Auparavant, toutefois

j'ai relevé une petite erreur : vous confondez "immaculée conception", dogme

catholique romain datant sauf erreur du 19e siècle et se rapportant à une

supposée naissance sans péché de Marie (la future mère de Jésus selon les

évangiles) avec la naissance virginale de Jésus.

 

REMARQUES :

1) Comme vous le dites très justement en conclusion, "Les Evangiles

contiennent tant de contradictions et d'invraisemblances qu'il ne sauraient

représenter une source scientifiquement valable sur le Jésus de l'histoire."

Je pense que la difficulté majeure pour un lecteur du nouveau testament, et

de la bible en général, aujourd'hui, est de savoir quel statut accorder à

cette collection de textes. Pour le croyant cette question est trop

facilement réglée à mon avis par des formules à l'emporte-pièce du genre "la

bible est la parole de dieu", qui évacuent la question fondamentale de la

lecture qui est l'interprétation. Pour les tenants du rationalisme et de

l'analyse historico-critique de ces textes, on ne peut pas faire je pense

l'économie d'une étude sérieuse du milieu religieux dans lequel ces récits

et textes on pris naissance, c'est à dire celui du judaisme et des diverses

tendances et sectes qui constituaient sa mouvance il y a 2000 ans. Je peux

vous indiquer à ce sujet un livre paru en 1988 (écrit par un tenant du

paradigme chrétien, professeur de Nouveau testament à l'université de

Heidelberg) "L'ombre du galiléen" de Gerd Theissen ed. du Cerf.

 

2) Je continue de vous citer : "L'histoire du développement de l'Eglise

montre plutôt une construction progressive du dogme que la transmission d'un

héritage historique bien précis." Je ne vois rien d'étonnant là dedans, le

souci principal des premières communautés chrétiennes n'étant pas la

transmission d'un témoignage historique précis mais plutot la cohésion des

différentes églises et la fidélité à une tradition qui fut d'abord transmise

oralement (quel pourcentage de la population savait lire et écrire au

premier siècle ?). Je crois ainsi qu'on a beaucoup de mal aujourd'hui à se

remettre dans l'esprit d'une époque où l'écrit était en fait réservé à une

très petite élite instruite, alors que l'enseignement de Jésus s'adresse à

tous sans exclure les pauvres (très majoritairement non alphabétisés). Il

faut aussi tenir compte du fait - très perceptible dans les écrits

néo-testamentaires - que les premiers chrétiens s'attendaient à un retour du

Christ de leur vivant. Ce n'est qu'au fur et à mesure que le temps passait

sans que ce retour ne vienne, que la nécessité s'est très probablement faite

sentir de fixer par écrit une tradition liée au témoignage oral des apôtres,

disciples et premiers témoins, au fur et à mesure que ceux-ci vieillissaient

et mouraient.

 

3) Quand à la construction du dogme et surtout à l'établissement du canon du

NT il reflète à mon sens essentiellement les luttes d'influences entre les

premiers dirigeants des premières églises en particulier la controverse

entre judéo-chrétiens (issus du judaisme) et pagano-chrétiens (de culture

grecque et/ou latine).

 

4) Pour terminer sur le fond de votre interrogation et en particulier votre

distinction de trois paradigmes (ou hypothèses d'interprétation), je ne

pense pas pour ma part que ces paradigmes s'excluent totalement les uns des

autres, en particulier les paradigmes rationaliste et mythique. Le paradigme

chrétien est nettement à part en ce sens qu'il présuppose une adhésion à un

système de croyance (foi, acceptation du dogme, comme il vous plaira de

nommer cela) qui situe d'emblée une part de la réflexion des chrétiens sur

le personnage de Jésus hors du champ de la raison où vous vous situez

nettement (tout comme moi-même).

Rien n'empêche en effet un récit mythique de se construire à partir d'une

personne réelle et le nouveau testament de comporter un joyeux mélange

d'éléments authentiques (historiques, réels) et de rajouts,

d'interpolations, d'enjolivures pour mieux "coller" aux attentes

messianiques et eschatologiques des communautés où ce récit a pris

naissance.

 

Il n'en reste pas moins que ce que vous nommez "paradigme mythique" est une

hypothèse de travail fort intéressante pour tout lecteur critique du NT et

que je vous suis reconnaissant de me l'avoir fait découvrir.

 

Bonne continuation à vous et à vos proches,

 

D.K.

 

Réponse

Merci de l'intérêt que vous avez porté à mon site. Comme vous l'avez très justement remarqué mon objectif était tout simplement de

montrer que la thèse d'un Jésus mythique est une hypothèse de travail crédible qui mériterait d'être considérée avec sérieux. Il est vrai que dans certains cas elle peut être indiscernable de l'hypothèse rationaliste mais je pense pour ma part qu'elle est susceptible de fournir un plus grand nombre de réponses cohérentes aux énigmes du Nouveau Testament.

 

Cordialement

 

P. Dupuis

 

 

 


J'ai lu avec beaucoup d'intérêt votre étude sur votre site.

Je trouve qu'il n'y a pas beaucoup de sites sur le mythe jésus en français sur le web

Cela étant, je me pose des questions sur Paul. J'ai lu le livre de B. Dubourg qui démontre que la description de sa vie tient du jeu de mot et des références au roi Saül (AT). En relisant Voltaire, on sait déjà que Tarse a été romaine au IVè siècle. On sait aussi que les épitres de Paul était inconnues à Rome avant Marcion.

Si les écrits attribués à Paul sont en partie authentiques, dans le sens qu'ils émanent de communautés judéo-grecques des années 40-60, rien ne prouve que Paul/Saul a existé. Tout porte à croire d'ailleurs que le vrai héro de ces  temps-là était Simon le Magicien. On peut croire que l'Eglise a retourné contre lui des textes qui émanait de son école.

Avez-vous une opinion à ce sujet, avez-vous des références.

Merci.

M. C.

 

Réponse :

Je suis assez d'accord avec vous sur le fait que l'existence de Paul n'est pas établie de manière certaine. L'analyse littéraire des épitres pauliniennes semble néanmoins indiquer que la plupart d'entre elles sont l'oeuvre d'une seule et même personne.Les références à des évènements ou à des personnages historiques précis ont permis également de dater leur rédaction avec une assez bonne approximation (contrairement aux évangiles).L'auteur en question s'il ne peut être identifié formellement au Paul du Nouveau testament possède néanmoins plus de consistance (de réalité) que le jésus des évangiles.Mon opinion personnelle est que cela ne change pas fondamentalement le raisonnement concernant l'énigme du jésus de l'histoire.Mais il est vrai que par delà l'existence de Jésus c'est aussi l'existence de tous les premiers apôtres qui est mise en question.

 

Amicalement

P. Dupuis

 

 


Bonjour,

 

                J’ai lu avec intérêt votre exposé sur l’ énigme Jésus. Je suis moi-même passionné par cette question, et j’ai commencé à rassembler une importante bibliothèque sur les origines du christianisme (en français seulement), mais je n’ai encore eu le temps que de la survoler. Je précise à toutes fins utiles que j’adhère résolument au « paradigme rationaliste ». Le « paradigme chrétien » me fait hausser les épaules, comme à tout rationaliste qui se respecte ; le « paradigme mythique » m’intéresse (je possède déjà une douzaine de livres qui nient l’existence historique de Jésus) mais il me paraît finalement poser plus de questions qu’il n’en résout. Puisque vous semblez désireux de recevoir des observations critiques, je me permets de vous adresser les miennes.

 

                1) Ainsi que l’a déjà signalé un de vos lecteurs, le caractère peu soigné de la rédaction est à la fois rebutant et inquiétant. Il y a un grand nombre de fautes d’accord, et la ponctuation est constamment défaillante car il manque des dizaines de virgules nécessaires à la clarté du propos et à la respiration du lecteur. Vous paraissez aussi fâché avec les accents circonflexes, qui sont en général ou bien absents quand il en faut ou bien présents quand il n’en faut pas. Et les noms propres ne sont souvent pas traduits en français ! De manière moins superficielle, votre exposé souffre d’un manque de « caractères extérieurs de scientificité ». On aurait ainsi apprécié des références systématiques indiquées en notes, la mention des traductions utilisées pour tous les textes antiques, etc. Certes je ne confonds pas l’habit avec le corps et suis bien conscient que ce genre de caractère extérieur, souvent illusoire, ne garantit pas le sérieux du propos ; néanmoins il met en confiance, et à tout prendre il vaut mieux ne pas s’en dispenser.

En ce qui concerne la bibliographie, à part Messadié, vous paraissez exclusivement dépendant de sources anglo-saxonnes, la plupart consultables uniquement sur l’internet. (Il est tout à fait étonnant que, pour renvoyer au texte des écrits apocryphes, vous donniez l’adresse d’un site internet en anglais, alors qu’il y a maintenant une très solide édition en français, dans la Bibliothèque de la Pléiade). Pour ce qui est des travaux d’historiens, je vous rappelle qu’un document mis en ligne sur la toile ne saurait prétendre à la même crédibilité qu’un livre publié chez un éditeur sérieux, pour la simple raison que n’importe qui peut y inscrire n’importe quoi, alors qu’un éditeur soucieux de sa respectabilité contrôle la validité des textes qu’il ajoute au catalogue de ses collections scientifiques. Là encore, cela ne veut pas dire que ce qu’on peut lire sur l’internet ne vaut rien tandis que ce qu’on trouve dans les bibliothèques aurait valeur de « parole d’évangile » ; simplement la probabilité de sérieux est plus forte dans le second cas.

L’exégèse historico-critique française est considérablement moins riche que ses consœurs allemande et anglo-saxonne, mais nous avons quand même un certain nombre de travaux magistraux,dignes d’un examen critique attentif. Duquesne, que vous mentionnez, en cite quelques-uns. Il me semble que les noms de Charles Guignebert, Maurice Goguel, Xavier Léon-Dufour, Claude Tresmontant, Pierre Grelot, Charles Perrot, Daniel Marguerat sont incontournables. L’édition française a aussi traduit les ouvrages majeurs de Rudolf Bultmann, Robert M. Grant, Joachim Jeremias, C.H. Dodd et bien d’autres. Si vous ne l’avez déjà fait, il faut commencer par éplucher deux instruments de travail, parus récemment, qui contiennent des bibliographies très abondantes en français et anglais : Que savons-nous du Nouveau Testament ?, par Raymond E. Brown, chez Bayard (très complet) , et plus synthétique mais très précis : Introduction au Nouveau Testament, sous la direction de Daniel Marguerat, chez Labor et Fides. Cet éditeur, établi en Suisse et donc protestant, a publié un grand nombre de travaux de qualité, qui se signalent par une exigence rationaliste beaucoup plus poussée que chez nos catholiques. Brown permet d’ailleurs de mesurer que les catholiques américains sont aussi nettement plus libres d’esprit que les catholiques français, qui ont osé tomber à bras raccourcis sur le timide Duquesne. Enfin, sur la question spécifique de l’historicité de Jésus,  je vous signale un livre de lecture aisée, dû à un amateur comme nous : Jésus, énigmes et polémiques, par Lionel Rocheman, Grancher, 2000. Il se refuse à conclure mais examine le dossier sans parti-pris, ce qui est déjà énorme. Aucun des auteurs susnommés n’adhère au « paradigme mythique », mais je crois que quand on veut étayer une théorie originale, c’est vers ceux qui défendent une thèse opposée qu’il faut se tourner, en ayant le courage d’examiner à fond leurs arguments. Parmi les travaux les plus récents et les plus imposants, Brown vante une somme en trois volumes : A Marginal Jew, par JP Meier (mais quant à moi je lis mal l’anglais, alors trois fois mille pages...)

 

 

2) J’en viens au fond. Votre exposé souffre à mon sens d’un défaut majeur, c’est qu’il se contente d’une approche « négative » de la question, à savoir un démontage des sources. Vous n’avez évidemment aucune peine à pointer les contradictions et les invraisemblances qui interdisent une acceptation historique littérale du récit chrétien. Bien que vous vous acharniez à prétendre que celles-ci sont si massives qu’elles invalident la lecture rationaliste, il n’empêche que cette dernière, par un tri rigoureux, peut néanmoins maintenir un substrat cohérent.

Or pour étayer le paradigme mythique, il faudrait absolument proposer une reconstitution positive, cohérente et raisonnable, qui se substitue au récit traditionnel. Autrement dit : qui ? quand ? où ? pour quoi ? Le scénario que vous esquissez en quelques lignes (II, 3) est tout à fait insuffisant et demande à être considérablement développé. Je dirai même que, pour quiconque entend refonder le paradigme mythique, la réfutation des évangiles est un travail préliminaire et somme toute secondaire : l’essentiel à faire est de redéfinir l’action des premières communautés chrétiennes, autrement dit de réécrire l’histoire du christianisme entre 30 et 200. Sans cela cette hypothèse n’est qu’une coquille vide, et elle rend complètement opaque ce qui s’est passé pendant cette période cruciale, alors que le paradigme rationaliste peut en donner une vue à peu près convenable. Pour valider une hypothèse de travail, il faut démontrer sa valeur heuristique, c’est-à-dire montrer qu’elle est plus opératoire que celle qu’elle se propose de remplacer.

 

Il y a un argument souvent invoqué contre le paradigme mythique, et en effet assez dérangeant, que vous passez sous silence : c’est que l’antiquité n’a jamais mis en doute l’existence historique de Jésus. Les détracteurs les plus virulents du christianisme (Celse, Porphyre, l’empereur Julien) attaquent sa morale ou sa métaphysique, pas son fondement historique (ainsi, il est faux de dire, comme vous en IV, 4 que les apologistes ont voulu répondre aux interrogations et arguments des non-chrétiens pour qui l’existence de Jésus n’est pas évidente).

D’une manière générale, il me semble qu’en vous concentrant sur les invraisemblances des récits évangéliques, vous manifestez une conception quelque peu anachronique de la véracité historique. L’école allemande de la « Formgeschichte » (Bultmann, Martin Dibelius) a mis l’accent sur le genre littéraire des évangiles, qui ne relève pas de l’historiographie classique, et par là n’implique pas les mêmes intentions. Mais même sans tenir compte de cela, on peut rappeler que la méthode historico-critique, à l’œuvre par exemple chez un Pierre Bayle ou un Voltaire, est étrangère à l’antiquité. Quand Tacite réécrit le discours de Claude à Lyon (je prends cet exemple car la table de Lyon permet de comparer avec la version originale) ou quand Tite-Live invente des discours qui n’ont jamais été prononcés (idem pour Thucydide, Salluste et tous les autres), ils n’ont pas l’impression de truquer leur récit, encore moins de mentir. Par ailleurs tous ces historiens farcissent leurs récits de « prodiges » tout à fait irrecevables aux yeux de la science moderne. Par conséquent, la présence de mêmes procédés chez les évangélistes doit inciter à une lecture critique, mais pas forcément à un rejet radical.

L’analogie que vous établissez avec d’autres héros mythiques de l’antiquité classique me semble tout à fait impropre. On peut en effet trouver des points communs avec Osiris, Adonis, Apollon, voire Horus et Prométhée si vous y tenez, mais force est de reconnaître que les légendes attachées à ces personnages ont été élaborées plusieurs siècles auparavant. Selon moi, ces mythes ont pu influencer le processus de divinisation de JC et la construction théologique qui l’a enrobé a posteriori. Mais la création d’un dieu, à partir de rien, est sans exemple à cette époque. Ce serait tout de même un hapax extraordinaire, que l’application du rasoir d’Occam qui vous est cher devrait éliminer. A contrario, la comparaison de JC avec Apollonius de Thyane est très éclairante : il s’agit d’un magicien contemporain, dont la biographie s’enrichit rapidement d’une quantité d’épisodes surnaturels (elle fut mise en forme au IIIème siècle par Philostrate : vous trouverez ce récit dans le volume de la Pléiade : Romans grecs et latins) ; mais, que je sache, l’existence historique d’Apollonius n’est pas mise en doute. Le premier siècle de notre ère est tout de même un temps de haute culture, héritier d’un vaste patrimoine intellectuel, et dans lequel un regard critique posé sur les croyances religieuses n’est pas chose inconnue, (voyez le De la divination de Cicéron ; on peut aussi mentionner Évhémère, qui avait répandu l’idée que les dieux étaient des hommes divinisés après leur mort), ce qui devait rendre malaisées des opérations de trucage intégral.

 

Dans votre petit scénario mythique (II, 3), vous présentez le christianisme comme « une évolution normale et attendue de la religion juive de l’époque ». C’est très discutable. D’abord, on ne voit pas pourquoi cette évolution n’aurait pas pu survenir deux siècles plus tôt, à l’époque des Maccabées, ou bien un siècle plus tard, à l’époque de Simon Bar Kochba qui fut lui aussi pris pour le Messie. Il serait bien commode de présenter le christianisme comme une excroissance de l’essénisme, et Jésus comme un avatar du Maître de Justice. Mais non, il y a des différences irréductibles entre les deux écoles et les deux figures.

Évolution normale ? L’universalisation du judaïsme, la volonté paulinienne de prêcher à toutes les nations est au contraire tout à fait révolutionnaire pour la religion juive qui entre dans un repli national du fait de sa lutte contre l’occupant. Mais plus encore, la théologie trinitaire, l’idée qu’un homme puisse être consubstantiel au Père, voilà qui est radicalement impossible pour le judaïsme.

Enfin une lecture attentive de votre petit scénario révèle une impossibilité cardinale. Vous rappelez à juste titre que « l’arrivée annoncée d’un messie était pressentie comme imminente », et vous en déduisez aussitôt que « la première image qui émerge est donc tout naturellement celle d’un être spirituel ». Là où vous voyez une conséquence, je vois une contradiction. Si on attend le Messie, c’est-à-dire un homme envoyé par Dieu, quel besoin d’inventer un nouveau dieu ? ! Cette faim messianique devait logiquement conduire à prendre n’importe quel homme pour le Messie, mais certainement pas à créer un être spirituel. Faire cela, n’était-ce pas au contraire mettre en doute l’arrivée du Messie, voire la rendre impossible ? Encore une fois, la motivation des « inventeurs » du christianisme demande à être très soigneusement reconstituée, sinon c’est un blanc-seing que vous exigez.

 

3) Le relatif silence des épîtres de Paul et des autres écrits est en effet assez troublant. Je crois néanmoins que vos affirmations s’exposent aux objections suivantes :

                a) L’objectif de Paul, dans ses épîtres, est de nature morale et théologique. Il n’avait pas besoin de retracer la vie de JC, car celle-ci était connue par les proto-évangiles que devaient colporter oralement ses compagnons, alors que lui seul pouvait délivrer son message original et complexe. De plus il ne faut pas s’imaginer que la collection d’écrits que nous avons constitue la totalité des écrits émanant des apôtres qui ont circulé. On peut même supposer qu’on a cherché à conserver avec une vigilance particulière ceux qui justement ne faisaient pas dou- blon avec les évangiles (la tradition paulinienne relative à JC étant peut-être entièrement passée dans celui de Luc).

                b) Avec toute la bonne volonté du monde, il est impossible de vous accorder que Paul ignore l’humanité de Jésus. Il est tout à fait faux de dire qu’il « ne cite à aucun moment les événements survenus pendant le ministère de Jésus ». Paul dit bien que JC est « né d’une femme » (Ga, IV, 4) ; il mentionne sa crucifixion (Ga, III, 1 ; 1 Co, II, 2 ; Ph, II, 8 (notez que le verset précédent parle explicitement de l’humanité d’un JC de condition divine)) ; ainsi que sa mort, sa résurrection et ses apparitions (1 Co, XV, 3-8). Enfin, surtout, la description de la Cène (1 Co XI, 23-25), que vous qualifiez de « figée », devient absurde si elle ne concerne pas un homme qui a vécu parmi les hommes.

 

 

4) Concernant les évangiles, l’hypothèse mythique, comme l’a pensé une écrasante majorité des historiens, pose beaucoup plus de questions qu’elle n’en prétend résoudre. Parmi celles qui me viennent à l’esprit :

                . Les contradictions elles-mêmes des évangiles ! Si tout était inventé, la cohérence globale serait beaucoup plus grande. Je pense par exemple à un point fondamental pour des créateurs de religion, celui du prosélytisme, qui aurait dû faire l’objet d’un soin particulier. Or Jésus déclare tantôt qu’il ne s’adresse qu’aux Juifs (Mt, X, 5-6 et XV, 24), tantôt qu’il faut évangéliser le monde entier (Mt, XXIV, 14 et XXVIII, 19). Ou encore la « christologie » des évangiles, qui est confuse et contradictoire (celle de Paul est beaucoup plus homogène) : JC se présente en général comme distinct du Père, tout en suggérant parfois sa nature divine. S’il y avait là une élaboration consciente d’intellectuels, ceux-ci auraient accordé leurs violons, ils auraient même commencé par définir ce point là, avant de rajouter peu à peu le reste.

                . Les personnages historiques de Pilate, Anne et Caïphe : les mentionner, c’était s’exposer à des démentis formels de ceux qui les avaient connus.

                               . Le personnage de Jacques, frère de JC, dont on devine par les Actes qu’il joua un rôle considérable : premier chef de l’église de Jérusalem, est complètement absent des évangiles, alors que les rédacteurs auraient dû lui réserver une place de choix. D’ailleurs, dans la plupart des récits mythiques, la famille du héros joue un grand rôle. Ici, elle est quasi absente, on peut même dire que JC renie sa famille (Mt XII, 46-50 / Mc III, 31-35 / Lc VIII, 19-21). Par ailleurs l’immense blanc entre l’enfance et le début de la prédication est une insigne maladresse de rédaction : l’épisode des docteurs n’apparaît que chez Luc, et c’est vraiment maigre pour masquer une ellipse de 30 ans... (Et si tout était inventé de A à Z, pourquoi Marc, le plus ancien des quatre, aurait-il omis la nativité... ainsi que Jean, le plus tardif ! Pour moi il est évident que la nativité a été inventée, parce que justement on ne savait rien là-dessus, faute de témoins. Mais si on bâtit tout à partir de rien, c’est un élément essentiel qui ne peut pas manquer).

. La place des apôtres : si certains d’entre eux avaient inventé les évangiles, ils s’y seraient donné le beau rôle, se seraient posés beaucoup plus explicitement comme des fondateurs d’Église. Or, sans parler du reniement de Pierre, les apôtres sont souvent malmenés, on a même l’impression qu’ils sont très obtus : voyez Lc IX, 43-45 / Mc IX,32 / Mt XVII,22 ; Mc IX, 33-35 / Lc IX, 46-47 ; Lc IX, 54-55 ; Lc XII, 41 ; Mt XIX, 13 / Mc X, 13 / Lc XVIII, 15 ; Lc XVIII, 34 ; Jn VI, 60-66 ; VII, 5 ; XII, 16 ; XIII, 6-10 ; XIV, 5 et 8-9 ; XVI, 17-18.

                . « la folie de la croix » : la problématique du « dieu souffrant », si prégnante au Moyen Âge et ensuite, est étrangère à l’antiquité. Le christianisme a mis deux siècles à percer, justement parce que, malgré son formidable message consolateur, les populations enclines à adorer des divinités belles, fortes et toutes-puissantes (succès énorme du mythe d’Hercule), étaient rebutées par ce dieu quelconque et ridicule qui était mort après avoir subi un supplice d’esclave. Quelle drôle d’idée, si elle était consciente ! On peut ajouter que les évangiles ne masquent pas ses difficultés : considéré comme un aliéné par sa propre famille (Mc III, 21), il est même arrivé à JC de se faire chasser à coups de pierres par la foule (Jn VIII, 59 et X, 31 ; cf Lc IV, 29). Placeriez-vous ceci, si vous vouliez imaginer les aventures d’un dieu imaginaire sur la terre ?

                               . l’eschatologie. Je suis de ceux qui, comme Schweitzer et quelques autres, voient en JC un prophète millénariste, qui s’est trompé en annonçant la venue imminente du Royaume des Cieux. Cette thématique, à mes yeux capitale, apparaît dans quasiment tous les autres écrits du NT, à commencer bien sûr par l’Apocalypse, mais aussi 1 Th et 2 Th. Or tout cela est inconcevable dans le cas d’une construction rétrospective. Selon moi, pour que des paroles si gênantes de JC (en particulier Mt XVI, 28 / Mc IX, 1 / Lc IX, 27 et aussi tout le « discours eschatologique » qui se trouve en Mt XXIV (notamment le v. 34), ainsi qu’en Mc XIII (v. 30) et en Lc XXI (v. 31-32)) n’aient pas passé à la trappe, il faut qu’elles eussent été entourées d’un respect invulnérable que seule pouvait conférer la certitude absolue de leur authenticité.

               

Ma conclusion est que c’est précisément le principe du rasoir d’Occam qui doit nous conduire à abandonner une hypothèse qui complexifie beaucoup plus le problème qu’elle ne le simplifie.

 

                (NB : bien que vous soyez très vague sur la question (c’est bien ce que je vous reproche), il semble que vous présentiez l’invention du christianisme comme un processus collectif plus ou moins inconscient, chaque groupe, poussé par la sincérité de sa foi, rajoutant une petite touche au scénario de base, sans se rendre compte qu’il participait ainsi à l’élaboration d’une vaste mythologie. Ce qui soulève les problèmes indiqués plus haut. Il y a cependant un moyen d’échapper à ceux-ci, c’est ce qu’on pourrait appeler le « paradigme mythique radical », qui pose le récit évangélique comme une forgerie intégrale, autrement dit une imposture consciente et délibérée d’un très petit groupe décidé à tromper tout le monde, comme les fabricants de fausses reliques au Moyen Âge ou, comparaison plus pertinente, la police secrète du tsar créant les Protocoles des sages de Sion. C’est, je crois, la position de Bernard Dubourg, à partir d’une base très originale. Mais ce paradigme audacieux pose évidemment beaucoup d’autres problèmes ! Il ouvre aussi la voie au délire interprétatif illimité. Je suis ainsi tombé récemment sur les élucubrations d’un cinglé, David Icke, selon qui la planète est dominée depuis les Sumériens par des extraterrestres de type « reptilien », qui mangent des enfants pour maintenir leur apparence humaine, en particulier les Windsor actuels qui, non contents de posséder tout le territoire des E.-U.A. par multinationales interposées, pratiquent couramment le meurtre sacrificiel et l’anthropophagie rituelle dans les caves de Buckingham (en concurrence avec Bush père qui est un pédophile notoire), ce qui bien sûr explique tout : le culte du serpent, les Mérovingiens, les Templiers, Rennes-le-Château, les gargouilles des églises, Francis Bacon, la franc-maçonnerie, les Révolutions américaine, française et russe, les Rockefeller, le nazisme, les guerres mondiales, Israël, l’assassinat de Kennedy, Kissinger, l’assassinat de Lady Di, le 11 septembre... et le Nouveau Testament, qui (ainsi que l’œuvre de Flavius Josèphe) a été tout entier rédigé par la famille de Lucius Calpurnius Pison, lequel est évidemment, comme vous l’avez deviné, le descendant de Ramsès II et l’ancêtre de Clovis et de George Bush. Sic, sic et re-sic. Si vous avez envie d’une bonne tranche de rigolade, allez voir son site www.davidicke.com).

 

 

                5) Petits points de détail

 

                               . Comme on vous l’a déjà signalé, l’ « immaculée conception » ne concerne pas Jésus, mais Marie : c’est la seule créature humaine née indemne du péché originel. La parenthèse est donc à supprimer (II,1).

                               . Renan, dans le paradigme chrétien (III) !?! Il considère pourtant JC comme un homme, non ?

                               . Le Jesus Seminar (III) ne représente que lui-même. Beaucoup d’exégètes l’ont superbement dédaigné, d’autres l’ont complètement récusé, et ses conclusions ont été très critiquées. Il semble qu’il ait surtout brillé par son habileté médiatique, ayant eu l’art de se faire passer pour une sorte de congrès représentatif mondial des exégètes et de donner de la publicité à ses travaux. Cf. R.E. Brown là-dessus.

                               . Il est tout à fait faux de prétendre qu’ « aucun théologien expert du NT ne défend l’idée que les auteurs des évangiles seraient des apôtres de JC ou même des assistants dévoués de ceux-ci » (IV, 2). C’est au contraire une idée encore majoritaire parmi les biblistes. Voyez Brown. Chez nous, Marguerat et ses collègues émettent des réserves, mais sans aller jusqu’à refuser franchement l’attribution traditionnelle (à vérifier néanmoins, je n’ai pas les livres sous la main et parle de mémoire).

                                . J’ai du mal à vous suivre dans le problème que vous soulevez (VII, 9) à propos des faux docteurs dont parlent 1 Je IV, 1-3 et 2 Je 7. À relire les deux extraits, il est évident que ceux dont il est question nient l’identité de Jésus avec le Christ. Ce n’est pas parce qu’il n’y a pas d’autres allusions semblables dans le NT qu’il faut rejeter celles-ci. Je ne vois pas où est le problème, ou plutôt je vois bien que ce double passage gêne le paradigme mythique, puisqu’il implique que la question de l’identité messianique d’un Jésus réel se posait bel et bien pour les contemporains.

                               . Le passage concernant Thallus (X, 13) est très confus. Et comme ailleurs, aucune référence précise pour aller vérifier soi-même !

                               . Je pense comme votre correspondant Ph. F. que la contradiction entre Je V, 31-47 et Je VIII, 13-19 (car il faut prendre en considération l’ensemble des deux passages) n’est qu’apparente. Dans les deux cas l’accent est mis sur le fait que l’authenticité de JC est validée par Dieu. Dans le deuxième passage, JC affirme plus nettement sa condition divine. C’est je suppose un exemple de ce que les chrétiens appellent « le dévoilement progressif du secret messianique ». En ce qui me concerne, j’explique beaucoup des contradictions dans le discours de JC par une radicalisation progressive de ses idées, à mesure qu’il constatait son impuissance à les faire partager (l’histoire politique depuis un siècle offre maints exemples de groupes extrémistes qui ont durci leurs thèses à mesure qu'ils étaient politiquement marginalisés). C’est limpide pour la cible de son prosélytisme, que j’ai signalée plus haut : puisque les Juifs ne veulent pas être convertis, eh bien il suffit d’aller voir plus loin ! Classique fuite en avant...

 

 

                Voilà, j’espère vous avoir donné, dans un esprit constructif, quelques éléments de réflexion pour mieux étayer votre thèse... ou peut-être la réviser.

 

Cordiales salutations,

S. S.

 

 

PS : Je vous joins une version de votre exposé dont j’ai entièrement corrigé l’orthographe, la ponctuation et quelques mots impropres ici ou là (par exemple « considération » p. 5, « caduques » p. 11, « conflagration » p. 26).

 

9/6/2003

 

Réponse :

. Vos remarques préliminaires sur la forme de mon exposé me semblent un tantinet exagérées. J’ai eu quelques problèmes au début avec mon correcteur orthographique mais depuis la version corrigée du texte le nombre d’anomalies  est vraiment négligeable et ne mérite pas me semble t-il une remarque aussi longue et désobligeante que la vôtre à moins que celle-ci ne constitue en fait  un discrédit délibéré sur le fond en guise de préambule.

Vous me faîtes la remarque fort juste que mes sources font la part belle à des références anglo-saxonnes sur Internet en lieu et place d’ouvrages en langue française dont vous me citez les titres. Il y a bien sûr une explication à cela. Lorsque j’ai entrepris la rédaction de cet essai il s’agissait avant tout pour moi de mettre ce dernier à la disposition des internautes afin de lancer un débat d’idées sur ce thème, débat qui n’existe pour ainsi dire pas dans notre pays contrairement à ce qui se passe de l’autre côté de l’Atlantique. Comme la plupart des internautes curieux lisent l’anglais il m’a semblé opportun de citer des sources anglo-saxonnes de préférence à certaines sources françaises parfois très difficiles à trouver en librairie ! Concernant votre argument sur le sérieux des éditeurs comparé à l’absence de rigueur des sources du Web il n’est qu’en partie vrai. Il faut bien entendu faire un effort de critique sérieux lorsque l’on cite un texte qui n’émane pas forcément d’une personnalité reconnue comme compétente sur le sujet mais il arrive aussi  parfois qu’un ouvrage de référence d’une collection réputée sérieuse soit confié à un pseudo expert qui n’en est pas un (Voir dans la collection Que sais-je aux PUF l’ouvrage consacré à l’Astrologie qui a jeté un sérieux discrédit sur l’éditeur en question).

J’en viendrai maintenant à vos critiques sur le fond qui comme je le préssentais éludent complètement les difficultés relatives au paradigme rationaliste.

. L'hypothèse du Mythe devrait effectivement comporter un volet "explicatif" sur  la genèse et le déroulement du processus inventif. Ce pourrait être à n'en pas douter la tâche des historiens et plus généralement des scientifiques qui étudient les origines du christianisme. Pour ma part je me contente de poser des questions et de mettre en doute le paradigme dominant. Je ne pense pas une seule seconde que le paradigme mythique absolu comme vous l'appeler puisse être pris au sérieux. J'avancerai donc les quelques hypothèses  simples  suivantes concernant une probable genèse du Christianisme.

à La première phase concerne la naissance et la diffusion de l'idée d'un Jésus Christ spirituel : C'est l'œuvre de Paul et des premiers "missionnaires chrétiens" qui sera continuée par les Pères Apostoliques.

à Puis diverses communautés religieuses créent chacune leur récit en fonction de leurs préoccupations particulières et de leurs attentes (Proto évangile de Marc,Documents Q)

à Enfin ces premiers écrits sont compilés puis complétés sur une période de plusieurs dizaines années pour aboutir peu à peu aux évangiles que nous connaissons.

 Cette méthode progressive et plurielle pourrait expliquer contrairement à ce que vous dites pourquoi le texte final comprend de si nombreuses contradictions et invraisemblances.Nous savons par ailleurs par Paul que plusieurs évangiles étaient en concurrence à son époque (Ga,1 Co) et notamment celui prêché par Appolos.

L'absence provisoire d'explication du phénomène de création n'implique à aucun moment que celui-ci doive être rejeté comme absurde.

L'hypothèse de l'invention est déjà admise pour beaucoup d'autres passages de la Bible . L'archéologie semble en effet avoir établi avec une très grande probabilité le caractère mythique des plus célèbres personnages de l'Ancien Testament : Abraham, Moïse, Josué (Cf La Bible dévoilée d'Israël Finkelstein. Le mélange de personnages mythique et réels (Moïse et Ramsès par exemple) est une technique qui semble bien maîtrisée par  les différents rédacteurs de la Bible.S'il n'y avait eu ces dernières décennies les révélations de l'archéologie scientifique il est probable que l'hypothèse du Mythe concernant ces "passages historiques" aurait été considérée également avec dédain.

. Concernant les deux principaux arguments en faveur du paradigme mythique, à savoir les silences de Paul et l'absence de témoignages historiques il me semble que vous êtes passé complètement à côté de ces problèmes essentiels. Comment peut-on croire que Paul qui parcourt le Monde (de l'époque) avec pour mission de convertir le plus grand nombre de  gentils  ne parle jamais de Jésus de Nazareth ? Pas une seule citation directe des paroles de Jésus ni aucune allusion à un épisode précis de sa vie terrestre qui s'est pourtant déroulée à Jérusalem peu de temps auparavant et dont les faits marquants doivent encore être dans toutes les mémoires. Aucun des passages que vous mentionnez ne concerne un épisode concret de la vie de Jésus en Palestine. Vous trouvez ce fait troublant quand moi je le trouve incompréhensible…

Aucun des lieux précis foulés par Jésus n'est jamais mentionné ni aucune des paroles prononcées par lui. Les gentils ne posent jamais aucune question concernant cet homme hors du commun qui a accompli tant de miracles et tenu des discours si novateurs. Paul ne dit jamais : « Jésus a dit »   ou «  Jésus a fait » .Pour Paul la connaissance du Christ et la révélation de son message ne doivent rien à un dénommé Jésus de Nazareth.

La révélation est ici de nature purement spirituelle et procède directement de Dieu. Jésus de Nazareth n'existe pas encore…

. Vous me dites que l’Antiquité n’a jamais mis en doute l’existence de Jésus alors que le fait essentiel réside justement dans le grand silence à son égard qui commence comme on vient de le voir avec Paul et qui continue jusqu’au milieu du deuxième siècle avec les Pères Apostoliques et les premiers Pères Apologistes qui ne mentionnent jamais Jésus de Nazareth.

. Vous passez sous silence également  le problème majeur que constitue l’absence de témoignages historiques extérieurs aux Evangiles. Il s’agit bien pourtant là d’une énigme pour le paradigme rationaliste comme pour le paradigme chrétien évidemment. En effet ou bien Jésus était réellement très connu en Palestine du fait de ses actes et paroles exceptionnels (miracles, sermons) et alors il aurait dû immanquablement attirer l’attention d’un des nombreux commentateurs de l’époque  ce qui n’est visiblement pas le cas ; ou bien Jésus était juste un homme remarquable qui n’a accompli aucun miracle et est demeuré très discret mais alors comment expliquer l’émergence et la diffusion en si peu de temps d’une nouvelle religion sur tout le pourtour du bassin méditerranéen avec comme seul point de départ un quasi inconnu… 

On voit bien en fait que lorsque l’on parcourt les épîtres de Paul ainsi que les textes des premiers Pères de l’Eglise la diffusion des nouvelles idées chrétiennes s’établit sans aucune référence à cet homme nommé Jésus qui ne deviendra le personnage central de la nouvelle foi que vers la fin du deuxième siècle.

 

En conclusion je vous conseillerai amicalement de mettre une pointe de doute dans votre étude des origines du Christianisme et de reconsidérer l’hypothèse mythique plus sereinement. Garder vous d’adopter une position par trop dogmatique envers la thèse rationaliste même si celle-ci est aujourd’hui largement dominante. Je n’accorde quant à moi pas la même ferveur envers la propre thèse que je défends que je considère juste comme un peu plus probable que les autres.

Un véritable esprit  scientifique se doit de douter de ses propres modèles surtout lorsque ceux-ci ne sont pas sans faiblesses et que les véritables preuves font défaut.

 

Cordialement

 

P. Dupuis

 

 

 

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